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Lorsque, venant de l’Alaska et faisant route vers le Japon par le nord, on aborde la passe d’Unimak, le volcan surgit de la mer sur tribord, enneigé des pieds à la tête, mais d’ordinaire si embarrassé de nuages que l’on n’en distingue que quelques pans, d’une blancheur aveuglante, à travers d’irrégulières fenêtres ouvertes dans la brume et presque aussitôt refermées. On mit pour moi une baleinière à la mer, chargée de quelques vivres, d’une douzaine de bouteilles de bordeaux et de fusées vertes et rouges. Mon départ ne fut salué d’aucun coup de sirène, et je vis sans regret le Meistersinger s’éloigner vers l’ouest avec son escorte de puffins. Longtemps après qu’il eut disparu, j’entendis le battement de ses machines, puis plus rien que le fracas des vagues se brisant au pied du volcan sur la neige durcie.

La première nuit fut terrible : dans la mer de Behring, les otaries aboient continuellement dans les ténèbres, ainsi que sous nos climats, dans la campagne nocturne, les chiens qui se font écho de ferme en ferme.

Après cette première nuit, il en vint d’autres, à peu près identiques, et dans l’intervalle desquelles il me semble qu’il faisait jour. Alors, le long du rivage sans abri, je marchais dans le tonnerre des brisants vers Shishaldin, Shishaldin et ses quelques légumes. Pourvu, me disais-je, pourvu que je n’arrive pas trop tard pour les légumes. Enfin, si la saison des légumes est passée, il restera toujours quelques poissons. Et reprenant espoir, je marchais invariablement vers Shishaldin.

— Jean Rolin, Journal de Gand aux Aléoutiennes