Sans doute, il m’est trop habituel de tenir mes faiblesses pour des maladies insolites sur lesquelles aucun traitement n’a de pouvoir, et dont je dois me contenter de suivre l’évolution avec une curiosité impuissante, pour qu’une sorte d’indifférence désabusée ne me paraisse pas, dans une certaine mesure, l’attitude la plus raisonnable à observer devant le phénomène qui m’occupe ici. En fait, c’est presque ridicule, cette obstination à me croire gravement atteint quand j’ai le cafard, quand une sombre jalousie me dévore, quand une nouvelle révélation de mon insuffisance me donne l’envie de me fourrer sous terre, ou que l’ambition me ronge, ou encore la vanité, enfin toutes défaillances auxquelles je suis fréquemment sujet et pour lesquelles je ne dispose malheureusement d’aucun remède, étant affligé d’une totale absence de volonté et ne possédant à aucun moment cette désinvolture, commune à beaucoup d’hommes heureux, qui me paraît de loin la plus enviable des qualités. Quand je suis dans le marasme, je ne prends pas sur moi d’en sortir, j’y reste jusqu’au cou. Il est vrai, comme je l’ai dit en commençant, qu’on m’a souvent plaisanté sur mon caractère taciturne, puis on m’a plaint ; c’est que là aussi j’étais enclin à déceler dans cette incapacité à m’ouvrir tous les symptômes d’une maladie incurable et, ce qui est beaucoup plus significatif, il était impossible à mes amis eux-mêmes, mis en présence de l’angoisse que leur révélaient mes traits pendant qu’ils s’épuisaient à provoquer mes confidences, de ne pas être frappés par l’analogie qui existait entre l’état où ils me voyaient et celui d’un malade qu’une souffrance interne contracte sur lui-même.
— Louis-René des Forêts, le Bavard