Lorsque je regarde en moi, ce n’est pas tant moi que je trouve, ni même un arrière-moi (labyrinthe inextricable), mais une sorte de grand espace plus ou moins vacant, plus ou moins désert, avec quelques trous, quelques déceptions et beaucoup d’espoir malgré tout. Peut-être suis-je ridicule ? Probablement se fiche-t-on éperdument de mon moi et de mon arrière-moi. Pourtant, je préfère être ridicule, trébucher sur moi-même et mes mots plutôt que de vivre dans l’oubli de ce que je suis, et ce, même si ce que je suis ressemble davantage à une aspiration un peu vague qu’à une chose dûment identifiable. Telle serait ma fatalité, une fatalité qui, bien qu’elle ait tendance à me déposséder de toutes certitudes, me livrant sans défense à ce que je suis et à l’angoisse qui m’habite, n’en demeurerait pas moins tendue vers l’avenir, grosse d’un espoir un peu fou qui me murmure à l’oreille que chaque être, moi le premier, a quelque chose à produire qui réponde à la nature de ce qu’il est. Cet espoir, c’est l’arbre qui pousse en moi qui me l’enseigne. Ce murmure de l’âme est en quelque sorte ma musique intérieure, le son véritable de mon être — même si, parfois, je n’arrive plus à l’entendre, assourdi qu’il est par le bruit environnant ou par quelque inquiétude qui le recouvre.

— Simon Nadeau, l’Autre Modernité