« On est bien, dit Achaz. Nous allons nous taire, seulement murmurer un peu, comme le font les arbres. Un arbre n’a-t-il pas une existence des plus agréables ? Il attend patiemment le soleil, la pluie, le vent, il attend de fleurir. Cela doit être délicieux d’attendre sa floraison. On sent quelque chose de beau en soi qui veut sortir, nous couvrir d’éclat et nous parer et, soudain, le rêve est devenu réalité, le plus beau rêve que l’on ait jamais fait. »

« Attendre sa floraison, répéta Irma, songeuse, oui, cela doit être beau. »

« N’est-ce pas ? reprit Achaz. Nous allons rester immobiles et chercher à nous identifier aux arbres ; peut-être ressentirons-nous les mêmes sensations qu’eux. » Alors, ils restèrent là, immobiles, à observer les faucons qui, tels de petits disques argentés, planaient dans le ciel bleu. Irma secoua enfin la tête en souriant : « Non, cela ne marche pas, je ne ressens rien. »

« Je crois, dit Achaz, que quelque chose aurait pu se produire en moi mais cela n’a pas duré. »

— Eduard von Keyserling, les Enfants des beaux jours (trad. Peter Krauss et Marie-Hélène Desort)