Je vais m’efforcer de garder mon calme. Je vais m’efforcer d’être clair. Je choisirai la formulation la plus nette, la plus simple, la plus naturelle : je me suis aperçu que je ne puis pas ne pas être moi-même. Je me suis aperçu que je ne pourrai jamais — jamais, comprenez-vous bien ? — que je ne pourrai jamais cesser d’être moi-même.
Il se peut que je m’exprime mal. Voici : je voudrais, dis-je, changer. Mais changer pour de bon — saisissez-vous ? — changer tout à fait, entièrement, radicalement. En somme, devenir autre. Être un autre qui n’ait pas le moindre rapport avec moi, qui n’ait pas le plus petit point de contact avec moi-même, qui ne me connaisse même pas et ne m’ait jamais connu.
Il y a bien longtemps que je connais des changements et renouveaux pour rire ! Il s’agit de petits coups de plumeau, des déménagements, des ravalements. On change les papiers peints, mais la chambre reste toujours la même ; on change la teinte du pardessus, mais le corps qu’il recouvre est le même qu’avant ; on change les meubles de place, on fixe avec de petits clous un nouveau tableau, on ajoute un rayon de livres, un fauteuil plus confortable, une table plus large, mais la pièce demeure la même, toujours et toujours, inexorablement, implacablement la même. Elle conserve le même air, la même physionomie, le même climat spirituel. On modifie la façade, mais la maison, à l’intérieur, conserve les mêmes escaliers, les mêmes pièces ; on change la couverture, on change le titre, on change les ornements du frontispice, les initiales des chapitres, les caractères du texte, mais le livre raconte toujours la même histoire, toujours et toujours — inexorablement, implacablement, la même histoire vieille, lamentable, ennuyeuse.
— Giovanni Papini, « Je ne veux plus être ce que je suis », le Miroir qui fuit (trad. Nino Frank)