Vous nous aviez écrit, dans votre première réponse, que l’écrivain interrogé apparaissait toujours comme ridicule. Est-ce parce que ce qui a été écrit dans un roman, dans une fiction ne peut pas être expliqué ?
Reconnaissons, pour commencer, qu’on ne peut éviter un discours narcissique, empreint de fatuité et de gravité, même derrière l’humour éventuel : voilà la source du ridicule. Je sais que je n’y échapperai pas ici et ça ne me réjouit pas. D’autre part, ce qui est publié, ce dont le lecteur prend connaissance, est le résultat d’un travail dans lequel chaque mot est pesé. L’entretien est un type d’exercice tout à fait différent, qui conviendrait beaucoup plus à des champions de l’oral qu’à des écrivains… Au cours d’un entretien l’écrivain est tenté de s’épancher, ou de dire des choses qu’il n’aurait pas approuvées par écrit. Ça donne un autre type de discours qui vient parasiter l’œuvre, avec un autre style, des concepts qui sont remués de façon différente, souvent incomplète, et sans subtilité. L’entretien enlève le non-dit, le silence, qui existe beaucoup dans l’écrit. Ce bavardage vient se greffer sur le texte alors que celui-ci se suffit à lui-même. Un discours sur le texte est possible s’il est fait par des critiques, des analystes universitaires, des lecteurs, mais l’écrivain, lui, ferait mieux de se taire. Sa présence en tant que porte-parole est plutôt étrange. Déplacée.
— Antoine Volodine, « L’humour du désastre », la Femelle du requin, numéro 19 (hiver 2002).