M. Folantin descendit de chez cette fille, profondément écœuré et, tout en s’acheminant vers son domicile, il embrassa d’un coup d’œil l’horizon désolé de la vie ; il comprit l’inutilité des changements de routes, la stérilité des élans et des efforts ; il faut se laisser aller à vau-l’eau ; Schopenhauer a raison, se dit-il, « la vie de l’homme oscille comme un pendule entre la douleur et l’ennui » ; aussi n’est-ce point la peine de tenter d’accélérer ou de retarder la marche du balancier ; il n’y a qu’à se croiser les bras et à tâcher de dormir ; mal m’en a pris d’avoir voulu renouveler les actes du temps passé, d’avoir voulu aller au théâtre, fumer un bon cigare, avaler des fortifiants et visiter une femme ; mal m’en a pris de quitter un mauvais restaurant pour en parcourir de non moins mauvais, et tout cela pour échouer dans les sales vol-au-vent d’un pâtissier !

Tout en raisonnant de la sorte, il était arrivé devant sa maison. Tiens, je n’ai pas d’allumettes, se dit-il, en fouillant ses poches, dans l’escalier ; il pénétra dans sa chambre, un souffle froid lui glaça la face et, tout en s’avançant dans le noir, il soupira : le plus simple est encore de rentrer à la vieille gargote, de retourner demain à l’affreux bercail. Allons, décidément, le mieux n’existe pas pour les gens sans le sou ; seul, le pire arrive.

— Joris-Karl Huysmans, À vau-l’eau