Dans la prairie, les burros poussaient leur plainte. La jungle chantait son éternelle chanson de joie, d’amour, de tristesse et de souffrance, de malheur, d’espoir, de désespoir, de victoire et de défaite. En quoi les choses qui s’étaient passées ici intéressaient-elles la jungle et la savane ? Pour la jungle, l’homme est sans importance. Elle ne prend même pas les excréments de l’homme, mais les abandonne aux mouches et aux scarabées. En revanche, elle prend ses os dès que les vautours, les fourmis et les vers ont apaisé leur faim. Qu’est-ce que l’homme pour la jungle ? Il prélève quelques arbres ou quelques buissons, ou bien il défriche un lopin de terre pour y construire un jacal et y planter un peu de maïs et de haricots, peut-être quelques caféiers, et s’il cesse d’entretenir ce lopin ne serait-ce que pendant trois mois, il n’est déjà plus à lui. La jungle le lui a repris. L’homme vient, l’homme va, mais la jungle reste. Si l’homme ne lutte pas jour après jour contre la jungle, elle l’engloutit.

— B. Traven, le Pont dans la jungle (trad. Robert Simon)