Le romancier n’est pas seulement celui qui raconte une histoire (« Et conter pour conter me semble peu d’affaire »), c’est celui qui nous communique une impression, une vision, une sagesse, explicite ou non. L’intérêt du roman ne repose pas sur des aventures extraordinaires, des intrigues laborieusement construites : les aventures extraordinaires font la faiblesse plutôt que la force des romans, — y compris la Chartreuse de Parme. C’est le quotidien, chez le vrai romancier, qui nous surprend. Le roman est une interprétation de la vie, interprétation parfois sous-entendue et toujours présentée dans le mouvement de la vie même. Voudrait-il la dissimuler, un auteur trahit sa conception du monde dans la façon qu’il a de raconter, dans son « style », aussi bien que dans ce qui fait la matière de son récit. Un romancier comme Hemingway ne se borne qu’en apparence à nous raconter une histoire. Cet art si dépouillé, cette façon de laisser parler les choses, cette passivité chez ses personnages : on ne peut indiquer plus clairement une attitude. Le refus de penser la vie est encore une façon de penser. Le romancier n’a pas toujours besoin de paraître pour se faire entendre.

— Paul Gadenne, « Efficacité du roman », À propos du roman

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