Pour la plupart des gens, dont ma mère fait partie, les choses essentielles de la vie ont été réglées une fois pour toutes par leurs ancêtres. Toutes les choses. Transmises oralement, par écrit et par les rites. C’est une grande chance pour ces gens, parce qu’ils n’ont rien à régler eux-mêmes. Quelquefois, cependant, il naît des gens auxquels il n’est pas donné de croire que toutes les choses essentielles ont été réglées par leurs ancêtres. Ils en viennent à penser que pour eux, aucune chose essentielle n’a été réglée. Tout leur retombe alors dessus. Ils doivent repartir de zéro. Et c’est très difficile pour eux, vraiment très difficile. On pourrait les croire condamnés d’avance à être engloutis, dilapidés, écrasés par les terribles fardeaux qu’ils endossent volontairement. Beaucoup renoncent à poursuivre ce chemin de croix et s’assimilent, s’adaptent. Les autres ne renoncent pas, ils vont jusqu’au bout.

— Edward Stachura, Me résigner au monde (trad. Laurence Dyèvre)