Dans son dernier livre, En el curs del temps (« Au fil du temps »), Enric Soria raconte qu’il y a quelques années, lorsqu’un journaliste a demandé à Marcel Reich-Ranicki ce qu’était pour lui un écrivain, le redouté ponte de la critique littéraire allemande lui a répondu : « Quelqu’un pour qui l’écriture est plus difficile que pour les autres. » À mon avis, c’est une réponse parfaite. Tout écrivain sérieux fait face à un paradoxe : plus il écrit, plus cela devient facile pour lui ; mais plus il devient facile pour lui d’écrire, plus la facilité devient pour lui suspecte, jusqu’à ce qu’il découvre enfin que c’est elle, la facilité, le pire ennemi de son travail. Lorsque quelque chose sort d’un premier jet, ce n’est pas bon ; lorsqu’une phrase sonne comme de la littérature, pire encore : la littérature c’est précisément ce qui ne sonne pas comme de la littérature. Écrire est un métier étrange. Fondamentalement, il consiste à se compliquer la vie. Pour l’apprendre, il faut l’oublier chaque jour.