Il faut se réserver une arrière-boutique rien qu’à nous, vraiment libre, dans laquelle nous puissions établir notre vraie liberté, et qui soit notre retraite principale dans la solitude. C’est là qu’il faut nous entretenir quotidiennement avec nous-mêmes, et de façon tellement intime que nulle relation ou contact avec des choses étrangères puisse y trouver place. Il faut y parler et rire comme si nous étions sans femme et sans enfants, sans biens, sans suite et sans valets, afin que quand sera venu le moment de les perdre, devoir nous en passer ne soit pas chose nouvelle. Nous avons une âme capable de se replier sur elle-même ; elle peut se tenir compagnie, elle a de quoi attaquer et de quoi se défendre, de quoi recevoir et de quoi donner. Ne craignons donc pas, dans cette solitude, de croupir dans une oisiveté ennuyeuse,

Sois dans la solitude une foule à toi-même.

La vertu se contente d’elle-même : sans règles, sans paroles, sans rien faire.

— Michel de Montaigne (trad. Guy de Pernon)