RÉSISTER

Ce qui tue les créateurs, dit Trom, c’est la crainte, le soin maladif de la perfection, l’emprise du doute sur l’esprit, le trop grand désir de possessions, le narcissisme sans l’humour, l’enfermement dans une solitude négative, l’aliénation par un autre être fût-il aimé, un trop grand besoin de vie facile, l’attrait du paraître, l’abandon du travail quotidien, de trop constants soucis domestiques, de trop fréquentes concessions aux vœux du public, l’usage excessif des drogues, la vie anarchique, une alimentation déficiente, la honte, l’illusion de l’utilité et parfois un succès subit, longuement et secrètement souhaité, et qui arrive après des années de privations.

L’artiste sans projet démesuré s’annule. Une certaine cruauté est quelquefois nécessaire à l’artiste créateur, une cruauté qui lui fait refuser ce qui ne s’accorde pas avec son œuvre, avec son travail, avec sa patience.

Le manque de perspective, l’obscurité consentie, le goût du mensonge, l’illusion sur ses atouts nuisent au créateur. Et aussi la méconnaissance de ses limites et une trop grande naïveté à l’endroit de la nature humaine.

Travailler longtemps sous l’effet de la panique est mortel. Aller trop souvent au fond du puits, atteindre régulièrement un état de fatigue qu’un repos normal n’arrive pas à étancher, cela est mortel. Mais la pire de toutes les morts pour un créateur, c’est de s’offrir encore vif au directeur des charges publiques.

— Pierre Morency, Ce que dit Trom