Car j’ai beaucoup travaillé devant ce paysage aride. C’est même là que j’ai, pour la première fois, compris quel bienfait étaient les horizons clos pour ceux qui s’évertuent par l’esprit. J’entends bien que la muraille toute proche, aveugle est rebutante, est hostile. Mais je sais aussi que les panoramas infinis ne sont point favorables à certaine forme de recueillement. L’heure de la contemplation n’est pas l’heure du labeur. Il m’est arrivé souvent de m’installer, pour mon travail, face à l’océan, ou devant un noble cirque de montagnes. Mon esprit ne résistait point longtemps au désir de l’évasion. J’imagine que, pendant les dix-huit années de son exil, Hugo, malgré l’habitude qu’il avait naturellement de tutoyer l’infini, s’est détourné de la fenêtre pour composer ses belles œuvres, pour retrouver en soi une image de l’infini, la féconde image intérieure de l’infini.

— Georges Duhamel, Biographie de mes fantômes