Je pense de plus en plus sincèrement (et je vais probablement atteindre bientôt, au train où ça va, les sommets de l’authenticité) que nous sommes sur terre pour éprouver au moins une fois toutes les émotions, tous les sentiments et toutes les sensations qui sont mis à notre disposition, et qui ne sont pas en nombre infini : la joie, la tristesse, l’amour, la passion, la pitié, la colère, le pardon, le regret, l’excitation maladive, le découragement complet, la méfiance, l’exubérance, etc. Je tiens naturellement pour rien les variantes, et c’est d’ailleurs précisément en cela que le problème se complique. Ou plus exactement se simplifie. […]

Mets-toi, Glaucus le Glauque, une chose dans la tête : il y a un moment dans la vie où tout peut être ramené au cas précédent. Et ce moment est terrifiant. Puis apaisant. Apaisant au point qu’on se couche dans la neige. Si tu veux bien admettre que l’enfer, c’est la répétition, tu comprendras que je fiche le camp avant d’entrer dans l’enfer de la répétition. Les damnés sont voués à des peines éternelles. Les vivants, à des malheurs répétés. Ou à des bonheurs variés. Je pense, à l’instant, que j’ai à peu près tout ressenti au moins une fois. À part la terreur des gens qui font du kayak et se retrouvent sous l’eau, les pieds pris dedans. Mais, pour la terreur comme telle, si je puis dire (et je peux le dire), j’ai déjà donné. Peu importe quand. L’essentiel est d’avoir donné. J’ai.

— Frédéric Berthet, Daimler s’en va