Une fois de plus, je vais me séparer de Salavin. Je le retrouverai, je le quitterai bien des fois encore. Il est mort, mais ne vivons-nous pas avec nos morts ? Parmi les fantômes qui hantent notre souvenir, les créatures imaginaires ne sont pas les moins fidèles. Nous portons le deuil de nos parents et de nos amis, mais aussi d’Ophélie, mais aussi de Violaine, mais aussi de Mélissande. J’ai perdu des êtres de chair qui m’en avaient moins dit d’eux-mêmes que je n’en sais de Salavin. Je pense que son ombre inquiète m’attendra, le soir, encore, au coin des rues mal éclairées de mon vieux Paris natal. Qu’elle approche sans défiance. Je ne la repousserai pas.

— Georges Duhamel, « Vie et mort d’un héros de roman », annexe à Vie et Aventures de Salavin