Mais les villes sont égoïstes
et arrachent tout dans leur course,
comme bois mort elles brisent les bêtes
et consument de nombreux peuples.

Et leurs hommes, esclaves des cultures,
perdent équilibre et mesure,
nommant progrès leur traînée de limace ;
la lenteur cède à la vitesse ;
ils ont des sentiments et des fards de catins,
s’enivrent du fracas du métal et du verre.

Comme bernés chaque jour par un leurre,
ils ne peuvent plus être eux-mêmes ;
la force de l’argent s’accroît et les possède,
forte comme un vent d’est, — et eux, petits,
dépassés, attendent de l’alcool
et du poison du sang des hommes et des bêtes
l’élan pour leur agitation vaine.

— Rainer Maria Rilke, le Livre de la pauvreté et de la mort (trad. Arthur Adamov)