Toute la littérature québécoise est peuplée de personnages qui s’évadent vers le désert qu’est le Nord. L’exemple pour moi le plus éclairant est celui du père de Maria Chapdelaine qui ne peut supporter le fait d’avoir des voisins et « mouve » toujours plus au Nord, là où il n’y a encore personne, là où l’individu est soi-disant libre, dégagé de toute tradition contraignante, mais exposé aux vertiges mêmes que cette liberté entraîne. Du « monde irrémédiable désert » de Saint-Denys Garneau aux « mondes peu habités » de Pierre Nepveu, il y a là une constante qui me paraît tout à fait significative. On peut certes l’interpréter de façon négative en parlant du Québec comme d’un « désert culturel », et il n’est pas rare de trouver des remarques en ce sens chez les écrivains comme chez les critiques. Il est encore moins rare de trouver des commentateurs enthousiastes qui défendent la thèse inverse avec un optimisme aussi sympathique que suspect. Or, de mon point de vue, le mot-clef dans l’expression « conscience du désert » est le mot « conscience ». Il suppose une lucidité et une force qui sont à la base de l’écriture. Plusieurs auteurs (parmi les meilleurs), loin de chercher naïvement à vouloir prouver que le « désert » n’en est pas un, font de la « conscience du désert » le moteur de leur écriture et le lieu par excellence de leur imaginaire.

Michel Biron