Alors que le soleil commençait à chauffer, à illuminer de reflets dorés la surface du lac, je méditai quelque temps sur la grâce, et sur l’oubli ; sur ce que l’humanité avait eu de meilleur : son ingéniosité technologique. Rien ne subsistait aujourd’hui de ces productions littéraires et artistiques dont l’humanité avait été si fière ; les thèmes qui leur avaient donné naissance avaient perdu toute pertinence, leur pouvoir d’émotion s’était évaporé. Rien ne subsistait non plus de ces systèmes philosophiques ou théologiques pour lesquels les hommes s’étaient battus, étaient morts parfois, avaient tué plus souvent encore ; tout cela n’éveillait plus chez un néo-humain le moindre écho, nous n’y voyions plus que les divagations arbitraires d’esprits limités, confus, incapables de produire le moindre concept précis ou simplement utilisable. Les productions technologiques de l’homme, par contre, pouvaient encore inspirer le respect : c’est dans ce domaine que l’homme avait donné le meilleur de lui-même, qu’il avait exprimé sa nature profonde, il y avait atteint d’emblée à une excellence opérationnelle à laquelle les néo-humains n’avaient rien pu ajouter de significatif.

— Michel Houellebecq, la Possibilité d’une île