En attendant, ils élaborent patiemment un langage qui sera leur langage exclusif, que nul étranger, bientôt, ne comprendra tout à fait. Ils inventent des termes, des locutions, des tournures syntaxiques dont ils sont bien les seuls à comprendre la saveur et la nécessité. Chaque mot a son histoire anecdotique. Chaque mot avance dans le temps, traînant, telle une comète, une longue queue de souvenirs.
Minable couple, celui qui parle le langage de tout le monde.
Dès les premiers jours, ils ont travaillé à leur légende. Chaque minute y apporte quelque épisode, quelque ornement. Par amour de l’amitié et pour embellir la vie, ils apprennent à mentir. Ils mentent d’abord à tour de rôle : celui des deux qui n’a rien dit baisse d’abord la tête, surpris, et cligne des paupières comme un homme qui perd l’équilibre ; mais, vite, il retrouve tout son aplomb et ajoute quelque détail au beau mensonge, pour bien montrer qu’il a compris le jeu et « pour rendre la politesse ».
— Georges Duhamel, Deux Hommes