Je me promenais avec un ami sur une plage de Méditerranée. Le village et son clocher émergeaient d’une myriade de lotissements, de résidences touristiques, d’appartements en multipropriété, comme un noyau d’authenticité au cœur de l’industrie des loisirs. Non loin de nous, sur le sable, une dame pas très jolie, allongée sur sa serviette, prenait le soleil en maillot de bain deux pièces. Elle portait des lunettes noires, un chapeau de paille, et soignait son bronzage en écoutant les informations. Son minuscule poste de radio (à l’antenne déployée, beaucoup plus longue que le poste lui-même) grésillait sans interruption, donnant des précisions sur une vague de froid (ici-même, il faisait beau), sur la guerre des Balkans (sur la plage, tout était calme) et sur la crise économique (j’étais invité gratuitement dans un palace de Monte-Carlo)… Désignant l’ensemble de la scène, mon camarade a murmuré : « On dirait un dessin de Sempé. »
C’est le privilège des grands artistes : ils ont si bien compris le monde que le monde a l’air de les imiter.
— Benoît Duteurtre, « On dirait un dessin de Sempé », préface de Jean-Jacques Sempé, Monsieur Lambert suivi de l’Ascension sociale de Monsieur Lambert