Jyl lui sourit et cligna de l’œil, en lui demandant ce qu’ils allaient faire maintenant.
Skoltz avait déplacé la lampe et sorti son carnet de voyage, qu’il ouvrait sur la table. Il avait réfléchi, disait-il, à son idée — tout accélérer pour mieux comprendre —, voilà ce qu’il lui proposait (il y avait consacré son heure de réflexion matinale) : toute l’évolution biologique en une nuit et une matinée, de minuit à midi.
— Vas-y, dit-elle.
— Bon. Alors deux milliards d’années égalent douze heures.
— Chiche.
— Mettons que les premières substances organiques apparaissent peu après zéro heure. Entre deux et trois heures du matin, l’atmosphère s’enrichit en oxygène et, vers cinq heures — s’il ne faisait pas nuit — nous verrions les premiers unicellulaires au fond de l’eau. (Il vérifiait sur son carnet, où il avait dessiné une horloge.) À sept heures apparaissent les coquillages.
— Ça va vite, dit-elle.
— Oui, mais c’est seulement dans la matinée que ça devient intéressant. Bon, neuf heures : des poissons nagent dans tous les océans, et les plantes aquatiques remontent l’eau douce le long des estuaires.
— Comme les saumons.
— À neuf heures et demie poussent les premières forêts. Le silence est total, mais la vie est installée sur la terre ferme. Puis les insectes surgissent,
— Bzzz, fit-elle, les bras écartés.
(Körberg scrutant son visage, retrouvant ou croyant retrouver des traits du visage de Stella, une façon de sourire, de poser maintenant le menton sur sa paume retournée, attentive.)
— Suivis, à dix heures, par les reptiles,
— Tsss,
— Et, à onze heures, par les premiers mammifères à fourrure,
— Bêêê,
— Et ce n’est qu’à onze heures et demie que volent les premiers oiseaux.
— Cui-cui.
— Arrête, c’est agaçant.
— Bon.
— Alors il est onze heures et demie : il fait très chaud. Le climat subtropical s’étend jusqu’aux pôles. Puis, à midi moins le quart, survient une série de glaciations : le günz, le mindel, le riss et le würm. Et ce n’est qu’une poignée de secondes avant midi, lorsque le climat redevient agréable, que naissent les premiers hommes.
— Pas mal. Tu me files la feuille ?
— Il n’est pas possible, bien sûr, de distinguer l’écriture de l’automobile.
Liffey-Ramirez avançait la tête vers Körberg :
— Curieux, hein, son truc ?
— Patrick Deville, Longue vue