Fils de bourgeois, Duchamp connut toute sa vie une situation pécuniaire précaire en raison de son intransigeance à l’égard des règles du jeu du marché de l’art. Dès 1912, il avait décidé de ne plus vivre de sa peinture, de gagner sa vie autrement qu’en vendant ses tableaux. Il préféra vivre d’expédients et de métiers appris sur le tas: bibliothécaire, organisateur d’expositions ou professeur de français auprès de riches Américaines qui tombaient presque toutes amoureuses de lui.

Face aux difficultés matérielles, il s’était forgé très tôt une attitude qu’on pourrait assimiler aujourd’hui à une sorte de simplicité volontaire, consistant à réduire ses besoins matériels au strict minimum. Duchamp, qui revendiquait le droit à la paresse, cultivait une attitude d’indifférence et de détachement de tout (notamment en matière artistique) et évitait comme la peste les querelles de chapelle. Il s’était assigné un programme de vie, un art de vivre qu’il résumait ainsi: « silence, lenteur et solitude ». Tout ce qui ressemblait à de l’agitation, que ce soit dans le quotidien ou dans le milieu de l’art, l’horripilait. À ceux qui lui reprochaient de ne pas avoir beaucoup produit durant sa vie d’artiste, Duchamp répondait invariablement qu’il attendait simplement « d’avoir des idées » : « J’ai eu trente-trois idées, j’ai fait trente-trois tableaux. Je ne veux pas me copier, comme tous les autres […] être peintre, c’est copier et multiplier les quelques idées qu’on a eues ici et là. »

Le Devoir